Corrigé du commentaire sur le texte de Barbey d'Aurevilly

Avec un peu de retard, je vous donne le corrigé du commentaire sur le texte de Barbey d'Aurevilly, que vous avez fait dans notre séquence sur la censure.


Objet d’étude : la littérature d’idées


Introduction

Dans cet article publié au moment de la parution de Gustave Flaubert, Madame Bovary, Jules Barbey d’Aurevilly exprime un jugement critique. A cette époque, le roman Madame Bovary est très controversé car il fait l’objet d’une procédure de censure, mais ce n’est pas sur ce terrain-là que se place Barbey. Lui même romancier, d’une sensibilité différente de celle de Flaubert, il s’oppose à conception du roman réaliste, qui est nouvelle à l’époque.

Peut-on dire que les arguments de Barbey d’Aurevilly présentent une critique juste du réalisme ?

Nous étudierons d’abord les arguments de l’auteur de la critique, à la fois perspicaces et sévères, puis nous verrons en quoi sa critique est aussi la défense une conception différente du roman, qu’il veut défendre et incarner.

Plan détaillé (nous n’avons pas entièrement rédigé les sous-parties)

Première partie : une critique sévère

Cet article témoigne d’un jugement sagace sur l’œuvre de Flaubert. Les reproches que Jules Barbey d’Aurevilly adresse à Flaubert sont assez vifs.

- L’article s’ouvre sur une analogie, introduite par une proposition subordonnée hypothétique, avec la société industrielle. Cette comparaison assez surprenante met en évidence le fait que le réalisme est justement contemporain de la révolution industriell née en Angleterre. Le réalisme serait une révolution littéraire, peu appréciée de Barbey d'Aurevilly : des machines mues par « un procédé inconnu de dynamique ». Le roman réaliste serait le produit d'un raisonnement froid et précis.

- En bon polémiste, Barbey d’Aurevilly argumente à partir de périphrases frappantes, qui font mouche : « plume de pierre », « couteau des sauvages » pour désigner l’écriture et « homme de marbre » pour désigner Flaubert. Ces expressions le dépeignent comme un être insensible.

- L’article témoigne du sens de la formule, de la pointe, dans des phrases simples mais percutantes, qui jouent avec la négation : « Il n’est point immoral. Il n’était pas moral du tout ». On y trouve aussi de l’ironie : « Flaubert est trop intelligent ». Cette intelligence-là est est un défaut pour Barbey, car elle étouffe la sensibilité. Une littérature trop intelligente, trop analytique ne peut pas toucher son lecteur.

Transition

L’article de Barbey est sévère mais il repose sur un jugement averti. C’est un romancier qui parle d’un autre romancier. A travers les arguments, on devine que sont abordés de véritables enjeux littéraires autour de la conception du roman.

Deuxième partie : l’originalité du roman

- Remarquons d’abord que Barbey d’Aurevilly est en désaccord avec les arguments de la censure, ceux d’Eugène Pinard. Il ne réagit pas comme un bourgeois scandalisé, il se place sur le plan artistique. En effet le « grand cri d’immoralité » (le scandale) était une « calomnie », un reproche qui n’est pas fondé, ou qui plutôt n’est pas le véritable problème.

- A travers sa critique de Flaubert, Barbey expose sa conception du roman, qui privilégie la sensibilité, un roman doit avoir des « entrailles », une âme. Les personnage ne peuvent être dénués d’intériorité, de dimension psychologique et spirituelle, alors que l’on pourrait reprocher aux personnages réalistes de fonctionner comme des mécaniques déterminées par leurs catégories sociales.

- Le désaccord entre les deux écrivains porte aussi sur la conception du personnage, pour Barbey un romancier doit savoir se passionner pour son personnage, éprouver des sentiments pour lui.

- Pour Barbey, le personnage est au cœur d’un affrontement entre le bien et le mal (le combat spirituel cher à la littérature catholique). Or cette dimension est ignorée par Flaubert.

- Barbey parle autant de Flaubert que de lui-même. Quand il dit « il est des romanciers qui aiment leurs héros, qui les plaignent, les justifient, ou les exaltent », et même le « détestent », « les condamnent » ou « les maudissent ». Ces sentiments contrastés, positifs ou négatifs, ont au moins le mérite de faire du roman un témoignage de vie.

- Se passionner « pour ou contre », c’est maintenir la possibilité d’une existence morale du personnage, capable de faire le bien ou le mal. Or le roman réaliste, en ne mettant pas en jeu les catégories morales, en ne les invoquant pas, ne peut créer des personnages capables d’affronter le sens de l’existence et ses enjeux spirituels.

Conclusion

Cet article polémique pose les véritables enjeux du roman. Alors que le réalisme s’impose dans la littérature, et sera suivi du naturalisme qui appliquera des notions scientifiques, Jules Barbey d’Aurevilly, dandy décadent, veut s’opposer à une littérature qui fait perdre au personnage son humanité. Il y a certes une certaine injustice dans ses arguments, car Flaubert est loin d’être indifférent à ses personnages, même s’il les malmène parfois ou semble les mépriser.

Jules Barbey d’Aurevilly ouvre la voie à une littérature d’inspiration catholique, en rupture avec les théories scientifiques, qui s’épanouira au XXe siècle, à travers les œuvres d’auteurs comme Léon Bloy, François Mauriac ou Georges Bernanos.

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