Flaubert maître du détail

Bonjour à tous,

J'ai reçu quelques réponses par mail. C'est très encourageant. Que d'autres élèves n'hésitent pas à le faire !
Il y a aussi un fil de commentaires qui s'est ouvert dans la page d'hier, posez-vos questions, intervenez, faites signe à la communauté-classe.
Les questions que je vous ai posées étaient censées aiguiser en vous l'attention aux détails. En effet Flaubert est un maître du détail, dans la tradition des écrivains réalistes. A son disciple Maupassant il disait que pour être un écrivain original il suffit de regarder un objet bien connu, mais le montrer tel qu'il n'a jamais été vu. C'est tout l'art de la description réaliste.
Le réalisme, c'est aussi la défiance envers les sentiments, préférer l'ironie au lyrisme, être féroce avec ses personnages, observer leurs échecs, leurs désillusions. Emma finira mal. (Bon je ne "divulgâche" pas trop votre lecture cursive).
Mais voici Emma, libérée de son mari, à la recherche de son amant. Le narrateur décrit son errance dans Rouen, et vous allez voir, tout ce qu'elle voit sur sur passage est chargé de signification implicite (sous entendue). Ernest Pinard, expert en moralité publique, a su les voir pour s'en scandaliser.
Vous, pas encore tout à fait. Mais bon, la littérature n'est pas une chose innocente.

Correction des questions


J'ai mis les textes sur Pronote mais vous pouvez accéder directement au manuel Nathan "L'esprit et la lettre" (pages 178 et suivantes) voici le lien : Manuel Nathan

1) La rue

Voici d'abord une réponse que j'ai reçue par mail, qui insite sur l'idée de danger.


L’héroïne prend la fuite, on dirait qu’elle cherche à éviter quelqu’un ou quelque chose. « Par peur d’être vue » , « Elle s’engouffrait dans les ruelles sombres ».Les détails de la description de la rue qui montrent les intentions immorales de l’héroïne sont :« les ruelles sombres » montre qu’elle va dans des lieux dangereux juste pour aller voir son amant.« souvent une charrette passait près d’elle » montre aussi la dangerosité du lieu qu’elle empreinte.

La rue, c'est toujours louche, compromettant. C'est le cas ici. Emma traverse des "ruelles sombres" (ligne 4) Le narrateur adopte le point de vue de l'héroïne, le lecteur voit les détails à travers les yeux d'Emma

Emma est dissimulée "les yeux à terre, frôlant les murs", elle se cache "sous son voile noir baissé" (ces voiles étaient portés par les femmes de la bourgeoisie à l'époque de Flaubert), elle a "peur d'être vue". Tout dans son attitude trahit des intentions peu avouables. Elle a rendez-vous avec son amant.
Et ce quel voit est en fait un vrai miroir de ses intentions, voyez plutôt :
- "quartier du théâtre, des estaminets et des filles" (l. 6). Les estaminets sont des lieux de divertissement et de plaisir .Quant aux "filles", ce mot veut dire prostituées, dont la rue est l'univers.
- "l'absinthe, le cigare et les huîtres". L'absinthe est un alcool ayant très mauvaise réputation. Il sera d'ailleurs longtemps interdit. Ces trois mots parlent à nos sens, de manière presque écœurante. S'y mélange à la fois l'appétit et le dégoût.
- Il y aurait aussi des choses à dire sur la présence de la "fontaine", sur le fait qu'Emma soit "en sueur". On peut aussi y voir une traduction de la sensualité. Le corps est associé à la rue.

La description de la rue révèle les intentions cachées d'Emma Bovary, ses désirs, au moment de rencontrer Léon.

2) Les "détails lascifs"

Vous avez trouvé vous-même la définition

3) La description du mobilier

Voici une autre réponse que j'ai reçue par mail

- Le lit en forme de nacelle : acte sexuel- Rideau en levantine rouge : couleur de l'amour- Le rouge partout dans la pièce et la blancheur de la peau : certaines parties de son corps sont dénudées et on les voit encore plus.- L'atmosphère : tiède et pas trop éclairée : intimité de la passion


Ces remarques sont très justes, et montrent que vous êtes capable d'interpréter une description.
Je n'ose pas trop - pudeur oblige -, entrer dans les détails, mais sans avoir l'esprit mal tourné, avouez qu'en relisant les lignes 26-27... puis 28-29. On se met à comprendre...
J'entends certains protester. C'est délirant. L'auteur n'a pas pensé à tout cela ?
Et pourtant si.
Notre Ernest Pinard, procureur de l'Empire, lui, ne s'y est pas trompé !
Continuons, il règne dans la chambre une intimité relâchée et sensuelle, quant à Emma "elle riait d'un rire sonore et libertin quand la mousse du vin de Champagne débordait du verre léger sur les bagues de ses doigts" (l. 36-37)

Censuré ! 🙈

Les détails de la chambre expriment une intimité sensuelle, traduite par de nombreux "détails lascifs", comme le dit Ernest Pinard, qui présentent de nombreux sous-entendus érotiques

4) La comparaison "comme deux éternels jeunes époux" est une vraie provocation, car l'outil de comparaison "comme" met sur le même plan le mariage et l'adultère, ce qui est tout à fait scandaleux par rapport aux valeurs bourgeoises dominantes. Mais l'écrivain Flaubert n'est pas du côté des valeurs bourgeoises. Plus mystérieux, l'adjectif  qualificatif "éternels", laisserait penser que les amants échappent au temps, vivent une plénitude. Mais ceci est une illusion, comme le verront les lecteurs du roman. A vos lectures cursives !

Isabelle Huppert dans le rôle d'Emma Bovary,  film de Claude Chabrol, en second plan, Léon





Commentaires

  1. Certains éditeurs scolaires ont mis leurs manuels en ligne. Pour retrouver les textes que nous travaillons, connectez vous sur le site du manuel "l'esprit et la lettre" (éditions Nathan), Parcours "La littérature en procès", p 178 et suiv.
    Voici le lien direct : https://biblio.nathan.fr/adistance/9782091665016/?openBook=9782091665016%3fdXNlck5hbWU9MmI2TFM5NXVrTndmNFpJa0xsSzludz09JnVzZXJQYXNzd29yZD1XalB3YkZzdmZ2RmNDSHNXUmgyemt3PT0mZGVtbz10cnVlJndhdGVybWFyaz0=

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